DHA, Bd. 8/1, S.         
  [Quatrième partie
   
  – La littérature jusqu' à la mort de Goëthe –]
   
5 L'ouvrage de madame de Staël, de l'Allemagne, est le seul document étendu
  que possèdent les Français sur [la littérature de cette contrée]. Cependant
  depuis que ce livre a paru, une grande période s'est écoulée; et, pendant ce
  temps, une littérature toute nouvelle s'est développée en Allemagne. Est-ce
  seulement une littérature de transition? a-t-elle déjà produit ses fruits? est-
10 elle si tôt éteinte? Sur toutes ces questions, les opinions sont partagées. Le
  grand nombre penche à croire qu'une nouvelle période littéraire commence
  en Allemagne à la mort de Goëthe, que la vieille Allemagne est entrée avec
  lui dans son tombeau, que le temps de la littérature aristocratique est
  accompli et mort, que la démocratie littéraire commence où[] «l'esprit des
15 individus a cessé pour faire place à l'esprit de tous».
  Quant à moi, je ne saurais juger d'une manière si précise les évolutions
  futures de l'esprit allemand. La fin de la période des arts, née de Goëthe, que
  le premier j'ai décorée de ce nom, je l'avais déjà prédite depuis nombre
  d'années. [Ma prophétie s'est accomplie]. Je connaissais très-bien les expé-
20 dients et les menées de ces mécontents qui voulaient mettre fin au grand
  empire [intellectuel] de Goëthe; et on a même prétendu m'avoir vu figurer
  dans les émeutes qui eurent lieu autrefois contre [ce grand despote]. Main-
  tenant que Goëthe est mort, je me sens saisi, à ce souvenir, d'une [violente]
  douleur.
25 []Tout en appréciant l'[importance] de l'ouvrage de madame de Staël sur
  l'Allemagne, je dois recommander une grande circonspection [à ceux qui
  l'ont lu ou qui le lisent encore, et je ne puis me dispenser du triste devoir] de
  le signaler comme l'ouvrage d'une coterie. Madame de Staël, de brillante
  mémoire, dans cette circonstance, et sous la forme d'un livre, a, en réalité,
30 ouvert un salon oùelle recevait des écrivains allemands, et leur donnait ainsi
  l'occasion de se présenter dans le beau monde français; mais, au milieu du
  tumulte des voix nombreuses et diverses, dont les clameurs retentissent du
  fond de ce livre, on entend toujours, dominant toutes les autres, la voix de
  fausset de M. A.[] Schlegel. Là oùmadame de Staël se montre elle-même,
35 quand cette femme si expansive s'exprime sans intermédiaire, lorsqu'elle se
  livre à sa chaleur naturelle[], quand elle abandonne à ses radieuses explosions
  toute cette pyrotechnie sentimentale qu'elle dirige si bien, son livre est
  [curieux] et digne d'admiration. Mais, dès qu'elle obéit à des inspirations
  autres que les siennes; dès qu'elle se soumet à une école dont l'esprit lui est
40 entièrement étranger, et qu'elle ne saurait comprendre; dès que, par les
  [incitations] de cette école, elle pousse à certaines tendances ultramontaines,
  qui sont en contradiction directe avec son esprit de clarté protestante, son
  livre est pitoyable et [nauséabond]. Ajoutez qu'à cette partialité qu'elle
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