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5 | | L'ouvrage de madame de Staël, de l'Allemagne, est le seul document étendu |
| | que possèdent les Français sur [la littérature de cette contrée]. Cependant |
| | depuis que ce livre a paru, une grande période s'est écoulée; et, pendant ce |
| | temps, une littérature toute nouvelle s'est développée en Allemagne. Est-ce |
| | seulement une littérature de transition? a-t-elle déjà produit ses fruits? est- |
10 | | elle si tôt éteinte? Sur toutes ces questions, les opinions sont partagées. Le |
| | grand nombre penche à croire qu'une nouvelle période littéraire commence |
| | en Allemagne à la mort de Goëthe, que la vieille Allemagne est entrée avec |
| | lui dans son tombeau, que le temps de la littérature aristocratique est |
| | accompli et mort, que la démocratie littéraire commence où[] «l'esprit des |
15 | | individus a cessé pour faire place à l'esprit de tous». |
| | Quant à moi, je ne saurais juger d'une manière si précise les évolutions |
| | futures de l'esprit allemand. La fin de la période des arts, née de Goëthe, que |
| | le premier j'ai décorée de ce nom, je l'avais déjà prédite depuis nombre |
| | d'années. [Ma prophétie s'est accomplie]. Je connaissais très-bien les expé- |
20 | | dients et les menées de ces mécontents qui voulaient mettre fin au grand |
| | empire [intellectuel] de Goëthe; et on a même prétendu m'avoir vu figurer |
| | dans les émeutes qui eurent lieu autrefois contre [ce grand despote]. Main- |
| | tenant que Goëthe est mort, je me sens saisi, à ce souvenir, d'une [violente] |
| | douleur. |
25 | | []Tout en appréciant l'[importance] de l'ouvrage de madame de Staël sur |
| | l'Allemagne, je dois recommander une grande circonspection [à ceux qui |
| | l'ont lu ou qui le lisent encore, et je ne puis me dispenser du triste devoir] de |
| | le signaler comme l'ouvrage d'une coterie. Madame de Staël, de brillante |
| | mémoire, dans cette circonstance, et sous la forme d'un livre, a, en réalité, |
30 | | ouvert un salon oùelle recevait des écrivains allemands, et leur donnait ainsi |
| | l'occasion de se présenter dans le beau monde français; mais, au milieu du |
| | tumulte des voix nombreuses et diverses, dont les clameurs retentissent du |
| | fond de ce livre, on entend toujours, dominant toutes les autres, la voix de |
| | fausset de M. A.[] Schlegel. Là oùmadame de Staël se montre elle-même, |
35 | | quand cette femme si expansive s'exprime sans intermédiaire, lorsqu'elle se |
| | livre à sa chaleur naturelle[], quand elle abandonne à ses radieuses explosions |
| | toute cette pyrotechnie sentimentale qu'elle dirige si bien, son livre est |
| | [curieux] et digne d'admiration. Mais, dès qu'elle obéit à des inspirations |
| | autres que les siennes; dès qu'elle se soumet à une école dont l'esprit lui est |
40 | | entièrement étranger, et qu'elle ne saurait comprendre; dès que, par les |
| | [incitations] de cette école, elle pousse à certaines tendances ultramontaines, |
| | qui sont en contradiction directe avec son esprit de clarté protestante, son |
| | livre est pitoyable et [nauséabond]. Ajoutez qu'à cette partialité qu'elle |