DHA, Bd. 8/1, S.         
  [Première partie
  – De l'Allemagne jusqu'à Luther –]
   
5 [Après avoir travaillé pendant longtemps à faire comprendre la France en
  Allemagne, à détruire ces préventions nationales que les despotes savent si
  bien exploiter à leur profit, j'entreprends aujourd'hui un travail semblable et
  non moins utile en expliquant l'Allemagne aux Français.
  La Providence, qui m'a imposé cette tâche, me donnera aussi les lumières
10 nécessaires. J'accomplis une œuvre profitable à deux pays, et j'ai pleine foi
  dans ma mission.
  Autrefois, l'ignorance la plus parfaite régnait en France à l'égard de l'Alle-
  magne intellectuelle, ignorance qui devenait très-funeste en temps de guerre.
  Aujourd'hui, au contraire, surgissent un demi-savoir, une interprétation
15 erronée de l'esprit allemand, une confusion de doctrines tudesques, qui est
  redoutable et très-dangereuse en temps de paix.
  La plupart des Français se sont imaginé qu'il suffit de connaître les chefs-
  d'œuvre de l'art allemand pour comprendre la pensée de l'Allemagne: mais
  l'art n'est qu'une seule face de cette pensée; et encore, pour la comprendre, il
20 faut connaître les deux autres faces de la pensée allemande: la religion et la
  philosophie.
  Ce n'est que par l'histoire de la réforme religieuse, proclamée par Luther,
  qu'on peut apprendre comment la philosophie a pu se développer chez nous,
  et seulement par l'exposition de nos systèmes philosophiques, qu'on saurait
25 apprécier cette grande révolution littéraire, qui a commencé par la théorie,
  par les principes d'une nouvelle critique, et qui a produit ce romantisme que
  vous avez tant admiré. Vous avez admiré des fleurs dont vous ne connaissiez
  ni les racines ni le langage symbolique. Vous n'avez vu que les couleurs; vous
  n'avez senti que les parfums.
30 Pour dévoiler la pensée allemande, je dois donc parler d'abord de la
  religion. Cette religion, c'est le christianisme.]
  Ne vous alarmez pas, âmes pieuses! je ne blesserai pas vos oreilles par des
  plaisanteries profanes. Elles peuvent encore avoir quelque portée en Alle-
  magne, oùil est peut-être utile de neutraliser en ce moment l'influence de la
35 religion; car, nous autres Allemands, nous sommes dans la situation oùse
  trouvait la France avant sa révolution, lorsque le christianisme était insépara-
  blement lié à l'ancien régime. L'un ne pouvait être ébranlé tant que l'autre
  eût continué d'exercer son influence sur la multitude. Il fallut que Voltaire fît
  entendre son rire tranchant avant que Sanson pût laisser tomber sa hache.
40 Mais le rire de Voltaire n'a rien prouvé; il a produit un [effet tout brutal],
  comme [l'ignoble] hache de Sanson. Voltaire n'a fait que blesser le corps du
  christianisme: tous ses sarcasmes, puisés dans l'histoire de l'Église; toutes ses
  épigrammes sur le dogme et le culte, sur la Bible, ce[] saint livre de l'humanité,
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