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5 | | «Quand, après longues années, l'empereur Othon III vint visiter le tombeau |
| | oùreposait la dépouille mortelle de Charlemagne, il entra dans le [caveau] |
| | avec deux évêques et le comte de Laumel qui a rapporté ces détails. Le corps |
| | n'était point couché comme celui des autres morts, mais bien assis sur un |
| | siége comme une personne vivante. Il avait une couronne d'or sur la tête, et |
10 | | tenait le sceptre entre ses F1mains, qui étaient couvertes de gants; mais les |
| | ongles avaient poussé et percé le cuir des gants. Le [caveau] avait été solide- |
| | ment muré avec du marbre et de la chaux. Pour y arriver, il avait fallu briser |
| | une ouverture. Au moment oùl'on y entra, on sentit une odeur très-forte. |
| | Tous plièrent aussitôt le genou, et témoignèrent leur respect au mort[]. Othon |
15 | | lui mit une robe blanche, lui coupa les ongles, et fit remettre en état tout ce |
| | qui était devenu défectueux. Aucune partie des membres ne s'était décom- |
| | posée, à l'exception du nez dont la pointe était cassée. Othon y fit remettre |
| | une pointe d'or: puis il prit dans la bouche de [ l'illustre mort] une dent, fit |
| | murer de nouveau le caveau, et s'en fut. La nuit suivante, Charle-[magne], dit- |
20 | | on, lui apparut en songe, et lui annonça que lui, Othon, ne vivrait pas |
| | longtemps, et ne laisserait pas d'héritiers.» |
| | Voilà ce que racontent les traditions allemandes; mais ce n'est pas le seul |
| | exemple de cette espèce. C'est ainsi que votre roi François [Ier] F1fit ouvrir le |
| | tombeau du célèbre Roland, pour juger par lui-même si ce héros avait été |
25 | | aussi [grand] que les poëtes voulaient bien le dire. Cela se passa quelque |
| | temps avant la bataille de Pavie. [C'est une pareille visite que] le roi Sébas- |
| | tien de Portugal [fit] aux caveaux de ses ancêtres, avant de s'embarquer |
| | pour [cette malheureuse campagne d']Afrique, [oùles sables d'Alcanzar- |
| | Kébir devinrent son linceul]. Il fit ouvrir [chaque cercueil] et interrogea |
30 | | [longtemps les traits] des anciens rois. |
| | Étrange et horrible curiosité qui pousse souvent les hommes à porter leurs |
| | regards dans les tombeaux du passé! Cela arrive à des périodes extraordi- |
| | naires, à la fin d'une époque accomplie, ou immédiatement avant une catas- |
| | trophe. Nous avons vu de notre temps un fait semblable: ce fut un grand |
35 | | souverain, le peuple français, qui eut, [un beau matin,] la fantaisie d'ouvrir |
| | la tombe du passé, et de considérer à la clarté du jour les siècles depuis |
| | longtemps [expirés et] oubliés. Il ne manqua pas de savants fossoyeurs qui |
| | se mirent à l'œuvre avec [pelles et pioches,] pour enlever les[] décombres et |
| | briser l'ouverture des voûtes. On sentit une odeur forte, un haut-goût gothi- |
40 | | que qui [affecta] fort agréablement les nez blasés sur [les parfums classiques]. |
| | Les écrivains F1français s'agenouillèrent respectueusement devant le moyen âge |
| | exhumé. L'un lui passa une robe neuve, et l'autre lui fit les ongles; un |
| | troisième lui mit [une pièce neuve au] nez: ensuite survinrent quelques poëtes |
| | qui lui arrachèrent les dents, tout comme avait fait l'empereur Othon. |