DHA, Bd. 8/1, S.         
  Avant-Propos
    
  L'espace restreint d'un avant-propos ne m'aurait pas permis de faire ici un
5 ample exposé de tout ce que j'avais de prime-abord à communiquer au
  public. J'ai donc préféré de donner en entier ces aveux de l'auteur dans la
  dernière partie de mon ouvrage, et j'avoue même que le cher lecteur ne
  ferait pas mal de commencer sa lecture par cette dernière partie. C'est un
  avis important. Les personnes qui connaissent par hasard la première édition
10 de mon livre, découvriront au premier coup d'œil que la nouvelle édition est
  augmentée de plus de moitié, et qu'un grand nombre de morceaux en ont été
  éliminés, de sorte que ce livre de l'Allemagne a gagné une tout autre figure, et
  que ce n'est plus le même livre.
  Dans plusieurs parties nouvelles que j'ai ajoutées, principalement dans
15 celles qui forment tout le second volume, je me suis imposé la tâche de
  dévoiler aux yeux du public français ce que le peuple allemand possède de
  plus intime et de plus national, et en quoi s'exprime pour ainsi dire toute son
  âme rêveuse et forte à la fois. Je parle de ces traditions et légendes qui vivent
  dans la bouche des pauvres gens, et dont les meilleures et les plus originales
20 n'ont jamais été écrites. J'en communique ici plus d'une que j'ai moi-même
  recueillies au foyer d'humbles cabanes, oùles racontaient quelque gueux
  vagabond, quelque grand'-mère vieille et aveugle; mais les reflets singuliers et
  mystérieux que les branchages flambants jetaient parfois sur le visage du
  narrateur, et les battements de cœur de l'auditoire qui écoutait avec un
25 silence religieux, il m'était impossible de les rendre, et ces récits rustiques et
  presque barbares restent donc privés de leur charme natif le plus merveil-
  leux.
  Je m'abstiens de toute observation au sujet des éliminations que mon livre
  a subies. J'évite du moins ainsi le danger de me rendre coupable d'un man-
30 que de tact. J'ai supprimé des diatribes émanées autrefois d'une malice
  juvénile et injuste, et j'ai fait de même pour des hommages dédicatoires, qui
  seraient un anachronisme aujourd'hui, et dont la forme intempestive pro-
  duirait surtout dans ce moment un effet tout contraire à celui oùl'auteur
  visait lorsque parut la première édition de son livre. A cette époque, le nom
35 auquel j'adressais ces hommages était pour ainsi dire un schibolet, et dési-
  gnait le parti le plus avancé de l'émancipation humaine, qui venait d'être
  terrassé par les gendarmes et les courtisans de la vieille société. En patroni-
  sant les vaincus, je lançais un superbe défi à leurs adversaires, et je mani-
  festais ouvertement mes sympathies pour les martyrs qu'on outrageait alors,
40 et qu'on bafouait sans merci dans les journaux et dans le monde. Je ne
  craignais pas de m'exposer au ridicule, dont leur bonne cause était, il faut
  l'avouer, un peu entachée. Les choses ont changé depuis: les martyrs d'autre-
  fois ne sont plus honnis ni persécutés, ils ne portent plus la croix, si ce n'est
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