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| | | L'espace restreint d'un avant-propos ne m'aurait pas permis de faire ici un |
| 5 | | ample exposé de tout ce que j'avais de prime-abord à communiquer au |
| | | public. J'ai donc préféré de donner en entier ces aveux de l'auteur dans la |
| | | dernière partie de mon ouvrage, et j'avoue même que le cher lecteur ne |
| | | ferait pas mal de commencer sa lecture par cette dernière partie. C'est un |
| | | avis important. Les personnes qui connaissent par hasard la première édition |
| 10 | | de mon livre, découvriront au premier coup d'œil que la nouvelle édition est |
| | | augmentée de plus de moitié, et qu'un grand nombre de morceaux en ont été |
| | | éliminés, de sorte que ce livre de l'Allemagne a gagné une tout autre figure, et |
| | | que ce n'est plus le même livre. |
| | | Dans plusieurs parties nouvelles que j'ai ajoutées, principalement dans |
| 15 | | celles qui forment tout le second volume, je me suis imposé la tâche de |
| | | dévoiler aux yeux du public français ce que le peuple allemand possède de |
| | | plus intime et de plus national, et en quoi s'exprime pour ainsi dire toute son |
| | | âme rêveuse et forte à la fois. Je parle de ces traditions et légendes qui vivent |
| | | dans la bouche des pauvres gens, et dont les meilleures et les plus originales |
| 20 | | n'ont jamais été écrites. J'en communique ici plus d'une que j'ai moi-même |
| | | recueillies au foyer d'humbles cabanes, oùles racontaient quelque gueux |
| | | vagabond, quelque grand'-mère vieille et aveugle; mais les reflets singuliers et |
| | | mystérieux que les branchages flambants jetaient parfois sur le visage du |
| | | narrateur, et les battements de cœur de l'auditoire qui écoutait avec un |
| 25 | | silence religieux, il m'était impossible de les rendre, et ces récits rustiques et |
| | | presque barbares restent donc privés de leur charme natif le plus merveil- |
| | | leux. |
| | | Je m'abstiens de toute observation au sujet des éliminations que mon livre |
| | | a subies. J'évite du moins ainsi le danger de me rendre coupable d'un man- |
| 30 | | que de tact. J'ai supprimé des diatribes émanées autrefois d'une malice |
| | | juvénile et injuste, et j'ai fait de même pour des hommages dédicatoires, qui |
| | | seraient un anachronisme aujourd'hui, et dont la forme intempestive pro- |
| | | duirait surtout dans ce moment un effet tout contraire à celui oùl'auteur |
| | | visait lorsque parut la première édition de son livre. A cette époque, le nom |
| 35 | | auquel j'adressais ces hommages était pour ainsi dire un schibolet, et dési- |
| | | gnait le parti le plus avancé de l'émancipation humaine, qui venait d'être |
| | | terrassé par les gendarmes et les courtisans de la vieille société. En patroni- |
| | | sant les vaincus, je lançais un superbe défi à leurs adversaires, et je mani- |
| | | festais ouvertement mes sympathies pour les martyrs qu'on outrageait alors, |
| 40 | | et qu'on bafouait sans merci dans les journaux et dans le monde. Je ne |
| | | craignais pas de m'exposer au ridicule, dont leur bonne cause était, il faut |
| | | l'avouer, un peu entachée. Les choses ont changé depuis: les martyrs d'autre- |
| | | fois ne sont plus honnis ni persécutés, ils ne portent plus la croix, si ce n'est |