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  bien éclairée, mais elle n'a pas de miracles, et il ne lui faudrait qu'un petit
  miracle pour en faire une religion honnête. Mais qui ferait des miracles en
  un tel lieu, pensai-je en visitant un jour, à Hambourg, une église protestante
  où il n'y avait que des bancs bruns et des murailles blanches, et sur les
5 murailles rien qu'une table noire sur laquelle étaient écrits une demi-dou-
  zaine de chiffres blancs. - Tu fais peut-être tort à cette religion, me dis-je;
  peut-être ces chiffres peuvent-ils faire aussi bien un miracle que l'image de la
  mère de Dieu, ou un os de son mari saint Joseph; et, pour voir le fond de
  cette affaire, j'allai aussitôt à Altona, et je mis les chiffres à la loterie
10 d'Altona []; mais je vous jure que pas un de ces numéros protestans ne sortit[].
  [Ne me parlez donc pas] d'une religion qui ne peut seulement pas faire sortir
  un ambe; et pensez-vous que je serais assez déraisonnable pour placer mon
  salut éternel dans une croyance sur laquelle j'ai déjà placé quatre marcs et
  quatorze shillings que j'ai perdus?
15 - La vieille religion juive vous semble sans doute préférable, mon ami?
  - M. le docteur, cette religion-là, je ne la souhaite pas à mon plus cruel
  ennemi. On n'en retire que de l'ignominie et de la honte. Je vous le dis, ce
  n'est pas une religion, mais un malheur. J'évite tout ce qui peut m'en faire
  souvenir, et comme Hirsch est un mot juif, je signe maintenant Hyacinthe,
20 collecteur, opérateur et taxateur. A cela, je trouve encore l'avantage de
  n'avoir pas eu besoin de changer le chiffre de mon cachet. [] Cela sonne d'ail-
  leurs autrement [], et on ne peut plus me traiter comme un gueux, ainsi
  qu'on le faisait autrefois.
  - Mon cher M. Hyacinthe, qui pouvait vous traiter ainsi? Il est impossible
25 de ne pas reconnaître en vous l'homme civilisé, dès que vous ouvrez la bou-
  che.
  - Vous avez raison, M. le docteur, j'ai fait des pas de géant dans la civilisa-
  tion. Je ne sais vraiment pas qui je pourrai fréquenter quand je reviendrai à
  Hambourg; et, quant à la religion, je sais ce que je ferai. J'ai pour le moment
30 le nouveau temple israélite, le service mosaïque avec le chant allemand [] et
  quelques cérémonies dont une religion ne peut pas se passer. Aussi vrai que
  Dieu dispense les biens, je ne demande pas en cet instant une religion meil-
  leure, et celle-ci mérite qu'on la soutienne. [] Elle est même encore trop
  bonne pour l'homme commun, [] à qui il faut des sottises, et qui se sent heu-
35 reux dans son imbécillité. Un vieux juif, avec sa longue barbe et son habit
  déchiré, qui ne dit pas un mot selon l'orthographe, [] se sent peut-être plus
  heureux que moi avec ma civilisation. A Hambourg, dans la grande ruelle
  des Boulangers, il y a un homme qui se nomme Moïse Loque, ou tout court
  Loque, qui va et vient toute la semaine, à la pluie et au vent, avec son paquet
40 sur le dos pour gagner [une couple] de marcs. Le vendredi soir, quand il
  revient au logis, il trouve le chandelier aux sept branches allumé, la table
  couverte d'une nappe blanche; il dépose son paquet et ses soucis, s'asseoit à
  table avec sa [maigre] femme et [ses plus maigres filles], mange avec elles des
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